Révolution bleue : comment le Maroc veut couvrir 60% de ses besoins en eau grâce au dessalement
Le Maroc vient de franchir un tournant stratégique dans la gestion de ses ressources hydriques en annonçant son ambition de couvrir 60% de ses besoins en eau grâce au dessalement de l’eau de mer. Cette annonce, portée par le ministre de l’Eau et de l’Équipement, intervient dans un contexte de sécheresses répétées, de pression démographique croissante et d’exigences accrues des secteurs agricole, industriel et touristique. Elle s’inscrit dans une vision de long terme qui vise à sécuriser l’approvisionnement en eau potable, à protéger l’économie nationale et à renforcer la résilience du pays face aux dérèglements climatiques.
Depuis plusieurs années, le Maroc figure parmi les pays les plus exposés au stress hydrique dans la région MENA, avec une disponibilité en eau par habitant en forte baisse. La combinaison de la baisse des précipitations, de l’irrégularité des saisons pluvieuses et de la hausse des températures place la ressource en eau au cœur des enjeux de sécurité nationale. Les retenues de barrages, longtemps pilier de la stratégie hydraulique marocaine, ne suffisent plus à garantir une sécurité durable, ce qui pousse le Royaume à accélérer sa transition vers des solutions non conventionnelles comme le dessalement et la réutilisation des eaux usées traitées.
Dans ce contexte, le recours massif au dessalement est présenté comme l’un des piliers majeurs du nouveau mix hydrique national. Le ministre a indiqué que l’objectif est de faire en sorte qu’à moyen terme, six verres d’eau sur dix consommés dans le pays proviennent de stations de dessalement, en particulier dans les grandes agglomérations côtières et les zones touristiques. Cette stratégie doit permettre de réduire la pression sur les nappes phréatiques et de réserver davantage l’eau continentale aux usages agricoles et aux territoires de l’intérieur.
Concrètement, le Maroc mise sur un réseau en pleine expansion de stations de dessalement le long de son littoral atlantique et méditerranéen. Certaines unités sont déjà opérationnelles et alimentent en eau potable des villes comme Agadir, tandis que d’autres projets de grande envergure sont prévus ou en cours de réalisation pour desservir des pôles urbains et industriels clés. Le modèle retenu combine partenariats public‑privé, contrats à long terme et intégration progressive des énergies renouvelables afin de limiter le coût environnemental et financier de ces infrastructures.
L’articulation entre dessalement et transition énergétique est d’ailleurs au cœur de la feuille de route marocaine. Alimenter les usines de dessalement par des parcs solaires et éoliens permet de réduire significativement l’empreinte carbone de la production d’eau, tout en tirant parti du potentiel considérable du Royaume en énergies renouvelables. Cette synergie s’inscrit dans la démarche climatique globale du pays, qui s’est engagé à renforcer ses contributions nationales déterminées et à soutenir une croissance bas carbone.
Au‑delà de la sécurité hydrique, les retombées économiques attendues sont multiples. Un approvisionnement plus stable en eau favorise l’investissement industriel, sécurise l’activité touristique sur les côtes et renforce l’attractivité des zones franches et des plateformes logistiques. Le développement de la filière du dessalement, de la maintenance des installations et des services associés devrait également générer des emplois qualifiés et stimuler l’écosystème des entreprises marocaines de l’ingénierie et de la construction.
Les enjeux sociaux sont tout aussi importants, notamment pour les populations urbaines et périurbaines confrontées ponctuellement à des restrictions d’eau. Un accès plus fiable à l’eau potable est un facteur direct d’amélioration de la qualité de vie, de santé publique et de confiance envers les institutions, en particulier dans les régions où la sécheresse a déjà entraîné des tensions locales. La sécurisation de l’eau pour les villes doit toutefois s’accompagner de politiques ciblées pour le monde rural, afin de ne pas creuser davantage les inégalités territoriales.
Sur le plan environnemental, le recours massif au dessalement soulève néanmoins des questions légitimes quant à l’impact sur les écosystèmes marins et la gestion de la saumure rejetée en mer. Les autorités assurent que les nouveaux projets intègrent des normes internationales strictes, des systèmes de dilution et des technologies plus efficaces pour limiter ces impacts. Le débat public et l’implication de la communauté scientifique restent toutefois essentiels pour garantir que cette solution ne crée pas de nouveaux déséquilibres écologiques à long terme.
La dimension géostratégique de cette annonce ne doit pas non plus être sous‑estimée. Dans une région où la question de l’eau devient un facteur de rivalités autant que de coopération, l’ambition du Maroc de sécuriser 60% de ses besoins par le dessalement renforce son image de pays anticipateur et stabilisateur. Cette position pourrait ouvrir la voie à des partenariats régionaux en matière de transfert de technologies, de co‑financement de projets et de partage d’expertise.
Enfin, la réussite de cette « révolution bleue » dépendra largement de la capacité à concilier investissements massifs, maîtrise des coûts pour l’usager et transparence dans la gouvernance du secteur. Le défi sera d’éviter que le prix de l’eau dessalée ne pèse trop lourdement sur les ménages et les petites entreprises, tout en garantissant la viabilité économique des projets pour les opérateurs. L’équilibre entre impératif social, exigence environnementale et soutenabilité financière sera au cœur des prochaines années, alors que le Maroc tente de transformer une contrainte historique en moteur de modernisation.

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