Maroc : le pari du cannabis légal, un tournant économique stratégique

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Un marché mondial en plein boom:

Le Maroc, déjà premier producteur mondial de cannabis et principal fournisseur de résine destinée au haschich, veut désormais transformer ce statut informel en atout économique légalement structuré. La montée en puissance des législations permissives en Europe, en Amérique du Nord et dans certaines régions d’Afrique ouvre un marché mondial estimé à plusieurs dizaines de milliards de dollars dans les années à venir, notamment pour les usages médicaux, pharmaceutiques et cosmétiques.

Face à cette dynamique, le Royaume entend ne plus se limiter au rôle de pourvoyeur de matière première brute, mais se positionner sur la chaîne de valeur, de la culture encadrée à la transformation industrielle. L’objectif est clair : capter une part significative de ce boom légal du cannabis, tout en réduisant progressivement le poids de l’économie clandestine qui a longtemps prospéré dans les régions du nord.

Une stratégie nationale structurée:

Le cadre légal adopté ces dernières années autorise la culture du cannabis à des fins médicales, pharmaceutiques et industrielles, dans des zones géographiques déterminées et sous licence. Une agence dédiée a été mise en place pour délivrer les autorisations, contrôler la production, garantir la traçabilité et veiller au respect des normes internationales de qualité.

Les autorités misent sur un modèle intégré qui associe petits agriculteurs, coopératives, industriels et investisseurs étrangers. Des appels à projets ciblent particulièrement la transformation en huiles, extraits, produits pharmaceutiques, textiles techniques et matériaux biosourcés, afin de diversifier les débouchés et de réduire la dépendance à la simple exportation de biomasse.

Relancer les régions du Rif :

Le développement du cannabis légal est présenté comme un levier de reconversion et de développement pour les régions historiquement dépendantes de la culture illicite, en particulier le Rif. Pendant des décennies, ces territoires ont vécu d’une économie informelle génératrice de revenus, mais aussi de précarité, de risques sécuritaires et de tensions sociales.

Le nouveau dispositif entend offrir un cadre stable aux agriculteurs, avec des contrats d’achat garantis et des prix plus transparents, en échange du respect des quotas et de la traçabilité. L’enjeu est double : améliorer les conditions de vie des populations locales et réduire progressivement l’emprise des réseaux de contrebande qui contrôlaient historiquement la filière.

Opportunités économiques et industrielles :

Sur le plan macroéconomique, Rabat voit dans le cannabis légal un complément à ses grandes stratégies sectorielles, aux côtés des énergies renouvelables, de l’automobile, de l’aéronautique et de l’exportation agricole classique. La création de filières de transformation locales peut générer des emplois qualifiés, attirer des partenariats technologiques et renforcer les recettes fiscales.

Les opportunités se situent notamment dans :

  • La production de médicaments à base de cannabinoïdes pour la gestion de la douleur, certaines formes d’épilepsie ou des traitements complémentaires en oncologie.
  • Les cosmétiques et produits bien‑être, où la demande internationale pour les ingrédients naturels et traçables explose.
  • Les usages industriels (textiles, matériaux composites, isolation) qui s’inscrivent dans la recherche de solutions plus vertes et durables.

Enjeux de régulation et d’image:

Cette montée en gamme ne va pas sans défis réglementaires. Le Maroc doit rassurer ses partenaires internationaux sur sa capacité à distinguer clairement les flux légaux des trafics illicites, en particulier vis‑à‑vis de l’Union européenne, destination traditionnelle de la résine de cannabis marocaine. Des mécanismes stricts de suivi des cultures, de contrôle des usines et de certification des exportations seront déterminants pour crédibiliser le nouveau modèle.

Sur le plan de l’image, le Royaume cherche également à passer du statut de “pays source de drogue” à celui d’acteur responsable d’une industrie régulée, tournée vers la santé et l’innovation. Cette transformation narrative accompagne plus largement la stratégie de positionnement du Maroc comme hub régional pour les chaînes de valeur à forte intensité technologique et réglementaire.

Impact social et débat public :

Au niveau interne, la légalisation encadrée du cannabis alimente un débat nourri entre arguments économiques, considérations sanitaires et références sociétales. Certains acteurs de la société civile insistent sur la nécessité d’accompagner cette transition par des campagnes de prévention, en particulier auprès des jeunes, afin d’éviter une banalisation de la consommation récréative hors cadre légal.

D’autres soulignent l’importance d’assurer une répartition équitable des bénéfices, de l’agriculteur aux industriels, pour que les populations du Rif ne restent pas cantonnées aux maillons les moins rémunérateurs. La réussite de la réforme dépendra en grande partie de la capacité de l’État à protéger les petits producteurs, à garantir la transparence des contrats et à intégrer ces territoires dans une stratégie globale de développement (infrastructures, éducation, santé).

Une nouvelle carte dans le jeu géopolitique :

En misant sur une filière cannabis légale et réglementée, le Maroc ajoute une nouvelle corde à son arc dans la compétition régionale et internationale. Le Royaume peut devenir une plateforme de production certifiée pour les marchés européens et moyen‑orientaux, profitant de sa proximité géographique, de ses accords commerciaux et de son expérience agricole.

À moyen terme, cette stratégie pourrait renforcer l’influence du pays dans les débats internationaux sur la régulation des substances, la santé publique et les nouvelles économies vertes. Si le pari est réussi, le cannabis légal pourrait s’imposer comme un pilier supplémentaire du “nouveau modèle de développement” que Rabat cherche à construire pour l’après‑2025, combinant croissance, innovation et inclusion sociale.

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